M’intéressant de très près à la réception de l’art contemporain, il m’a semblé pertinent de me pencher sur le Bouquet of Tulips, cette sculpture monumentale que Jeff Koons offre à la France. De nombreux articles ont fait part de ce don que fait Jeff Koons fait à la nation française. Cette sculpture, chargée de symboles idéologiques, tente de se légitimer, tant par les raisons qui ont engendré sa conception, que par les motivations qui ont fait vibrer Jeff Koons lui même, et les personnalités rattachées au projet.
Dans quel contexte ce projet a-t-il vu le jour, et de quelle nature cette sculpture est-elle ? De l’article vulgarisé, pauvre en informations, à l’interview et l’étude approfondie du sujet, de la prise de parti à la simple énonciation des faits, les articles relatant cet évènement présentent bien des divergences et bien que la différence fasse la force, l’omission de données importantes peut fausser le jugement du lecteur qui veut être renseigné.
Pourquoi cet évènement est-il pertinent ? Autrement dit, qu’est-ce qui légitime sa place dans l’actualité ?
La pertinence de cet évènement tient dans un premier temps à son caractère solidaire, au fait qu’il relate d’un acte de fraternité que l’un des artistes contemporains les plus médiatisés fait à la Ville de Paris et au peuple français. En effet, Jeff Koons réalise cette œuvre sous l’impulsion de l’ambassadeur des États-Unis en France, Jane D. Hartley.
Un an après les évènements tragiques survenus en la capitale française, Hartley, désireuse de commémorer cet évènement et de montrer le soutient des États-Unis d’Amérique envers la France, voit en Koons un moyen d’expression évident. Elle s’explique :
« J’avais le souvenir du 11 septembre à New York, de l’élan de solidarité qui avait suivi ici, et je voulais que l’Amérique puisse en retour faire un geste envers le peuple de France. J’en ai discuté avec plusieurs personnes, et l’avis général était que le seul à pouvoir représenter cela, c’était Jeff Koons. »
En un deuxième temps, cette œuvre possède une valeur historique importante. Si cet évènement s’inscrit parfaitement dans l’actualité, c’est également puisqu’au moment où ce projet voit le jour, en février 2016, cela fait alors 130 ans que la France a offert aux États-Unis d’Amérique la Statue de la Liberté, réalisée par Auguste Bartholdi et Gustave Eiffel, en l’honneur du dixième anniversaire de l’Indépendance américaine, le 4 juillet 1876.
Une œuvre commémorative donc, qui a toute son importance dans un monde où le respect de l’autre, de son passé, ou de son présent, est ébranlé.
Avec son Bouquet of Tulips, Jeff Koons souhaite, dit-il, « témoigner de ces valeurs que nous partageons, de ce respect de la liberté et inspirer les jeunes, leur faire comprendre que leur futur est dans leurs mains, dans un acte d’amour ». Les valeurs que nous partageons auxquelles l’artiste fait référence, sont énoncées par Jane D. Hartley elle même, je cite :
« Nos deux pays partagent énormément au niveau politique, économique et culturel mais, plus important encore, que la France et les États-Unis sont profondément attachés au principe universel de Liberté. Tout au long de l’histoire, lorsque l’un de nos deux pays s’est retrouvé en difficulté, l’autre a toujours été solidaire et l’a soutenu. L’art a le pouvoir de rassembler les gens de tous âges, toutes origines, toutes couleurs, toutes croyances. Il est source d’inspiration et d’espérance en l’avenir ».
Ces nombreuses sources, qui se consacrent au même sujet, procèdent, nous l’avons dit, par des approches différentes. Désireux de traiter l’actualité de manière brève, certains journalistes semblent avoir laissé de côté certaines informations fondamentales. Peut-être est-ce un choix de l’auteur de proposer au lecteur quelques pistes que ce dernier approfondira si l’envie lui vient, cependant, il est difficile de penser à une omission à visée pédagogique lorsque nous lisons dans Beaux-Arts Magazine que ces fleurs sont « brandies, comme le ferait un enfant ».
Cette source, pourtant des plus récentes, semble mal renseignée et elle est la seule, parmi les huit articles sélectionnés, à ne pas mentionner les mots de Koons, dans lesquels lui-même s’exprime sur le lien volontaire direct établi entre cette main droite de jeune femme, et la main droite de la Statue de la Liberté. Beaux-Arts magazine, comme Arts Magazine, offrent une place moindre à Koons et sa « première œuvre commémorative » cependant, si Beaux-Arts magazine présente un article vulgarisé, Arts Magazine présente tout de même le contexte historique de conception-réalisation du Bouquet of Tulips, riche symboliquement. Ces deux articles peu étayés nous incitent donc à augmenter nos sources. Ajoutons à ces articles celui de Vincent Leblé, qui, pour La Nouvelle République, se limitent aux grandes lignes directives du projet, et évoque de fait les raisons pour lesquels ce dernier voit le jour. Bien que son fil directeur soit exclusivement les attentats survenus à Paris en novembre 2015, il présente clairement et efficacement le sujet et encadre son article de quelques lignes introduisant l’Œuvre de Koons, ce qu’il est le seul à faire.
À l’opposé de cela peut-être, nous avons Libération, qui met au jour l’absence de communication des institutions chargées de tels projets, prônant pour ce faire une approche politique. Ajoutons à cela de pertinentes remarques qui poussent à s’interroger sur l’avenir (ou plutôt le non-avenir) de cette sculpture. En bref, Libération ne se cache pas de mettre les points négatifs en avant, de l’organisation du projet, à son existence même. Poursuivons dans cette lignée non hypocrite, avec Le Monde.
Peu innovantes sont la plupart de ces sources dans la mesure où les citations dont elles se servent se découvrent de manière systématique, et se trouvent être les mêmes. Ce qui change, évidemment, c’est le caractère de l’article, à savoir s’il est politique, historique, artistique, ou bien anecdotique. Cependant, notons l’effort du Monde, qui innove dans ses paroles rapportées, de même pour le New York Times. En effet, Le Monde présente le projet depuis ses origines. Discours officiels, anecdotes, Harry Bellet organise son propos de manière construite et sérieuse et comme M. Lesauvage pour Libération, une part politique importante mais indispensable, me semble-t-il, est présente dans son article. Le New York Times quant à lui est le seul, en s’appuyant sur une parole de Jane D. Hartley, à présenter l’aspect économique favorable qu’engendrerai une exposition pérenne d’une telle envergure, qui plus est signée Koons.
Le Figaro quant à lui, mené par Valérie Duponchelle, est allé à la rencontre de l’artiste. Jeff Koons lui livre ses intentions, ses motivations. Nous (re)découvrons un Jeff Koons sincère, ému, vrai, qui n’a plus rien à prouver.
Passé inaperçu, cet évènement, pourtant marquant d’un point de vue artistique, symbolique et historique, a fait changé quelques unes de ses habitudes à son créateur. Nous l’aurons vu, chacune de ces sources a de quoi satisfaire tout un chacun. De l’amateur au passionné, de l’intéressé au persévérant.
Beaux-Arts Magazine, « Pour la beauté du geste », par Florelle Guillaume, janvier 2017.
Arts Magazine, « Jeff Koons offre Bouquet of Tulips à Paris », janvier 2017.
Le Figaro, « Le sculpteur Jeff Koons offre sa « Miss Liberty » à Paris », par Valérie Duponchelle, 21 novembre 2016.
The New York Times, « Jeff Koons is giving sculpture to Paris to remember terror victims », par Rachel Donadio, 21 novembre 2016.
Le Monde, « Jeff Koons nous offre des fleurs mais il faudra payer le vase », par Harry Bellet, 22 novembre 2016.
La Nouvelle République, « Attentats : Jeff Koons offre un « Bouquet de Tulipes » à la Ville de Paris », par Vincent Leblé, 22 novembre 2016.
Libération, « Le « cadeau » peu emballant de Jeff Koons à Paris », par Magali Sauvage, 23 novembre 2016.
Source photographique : http://stupiddope.com/2016/11/25/peace-unity-jeff-koons-bouquet-of-tulips-sculpture/
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