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Questions à l’attention de Jean-Charles Risch, docteur en intelligence artificielle, co-fondateur de Elter, et fondateur de Simplified BMX. Co-producteur de l’œuvre P3.450 de Charlie Aubry, présentée aux Abattoirs, Musée — FRAC Occitanie Toulouse, à l’occasion de l’exposition Mezzanine Sud – Prix des Amis des Abattoirs.


Le 2 décembre 2019

Questions à l’attention de Jean-Charles Risch, docteur en intelligence artificielle, co-fondateur de Elter, et fondateur de Simplified BMX.
Co-producteur de l’œuvre P3.450 de Charlie Aubry, présentée aux Abattoirs, Musée — FRAC Occitanie Toulouse, à l’occasion de l’exposition Mezzanine Sud – Prix des Amis des Abattoirs.

Abigaïl Hostein : Quel est votre rapport à l’art ? Avez-vous toujours été sensible au monde artistique, ou bien est-ce nouveau ?

Jean-Charles Risch : Tout dépend de la définition que l’on donne à l’art. J’aime me dire qu’un mathématicien est un artiste des maths, qu’un informaticien est un artiste du code. Pour moi, un artiste est quelqu’un qui crée quelque chose de jamais vu à partir d’une somme de choses existantes.
En considérant le sens commun de l’art, j’y suis relativement étranger. J’ai une très mauvaise culture du sujet cependant j’y suis totalement ouvert. J’apprécie essentiellement les œuvres massives : un grand building, une grande sculpture, etc. Il faut que l’émotion soit immédiate et que je ne m’en lasse pas, comme avec un bon film ou une bonne musique.

AH : Quelle est précisément l’étendue de votre domaine de compétence, votre spécialité ? Pourriez-vous me donner votre définition de l’intelligence artificielle ?

JCR : Je suis un touche à tout en informatique même si j’ai mes bêtes noires. J’ai toujours un projet personnel qui me permet d’apprendre de nouvelles choses : programmation classique, développement web/mobile, statistiques, électronique, électricité, etc. J’ai un doctorat en intelligence artificielle et j’ai créé une société de services informatique spécialisée dans le domaine, donc naturellement et avec le temps, l’IA s’est imposée comme ma spécialité.
Il est difficile de définir correctement l’IA, certains la définissent au travers de rêves/cauchemars de science-fiction, d’autres par la réalité terrain et la plupart font un mix un peu dangereux des deux.
La définition que je donne est celle de l’IA d’un point de vue technique en 2019/2020. L’intelligence artificielle est une tentative de s’approcher du mode d’interprétation humain et plus généralement animal en simplifiant (beaucoup) ce qu’on comprend de la mécanique biologique des neurones. La comparaison fait peur, la réalité un peu moins (en fait c’est un gros calcul de matrices). Quand on entend parler d’IA, il est souvent question du sous-domaine de l’apprentissage supervisé (ce qui est utilisé dans l’œuvre de Charlie). En apprentissage supervisé, l’objectif est de généraliser un grand nombre d’expériences dans ce qu’on appelle un modèle. Par exemple, si un enfant voit pour la première fois de sa vie un bateau, il ne saura pas reconnaître l’objet qu’il est en train de visualiser. Cependant, si à chaque fois qu’il voit un bateau, quelqu’un est là pour lui dire que c’est bel et bien un bateau, alors un jour il sera capable de reconnaître des bateaux même s’il ne les a jamais avant. L’enfant aura généralisé le concept du bateau par son expérience. C’est exactement comme ça que la plupart des IA fonctionnent en ce moment.

AH : Jusqu’où vous permet-elle d’aller, quelles possibilités vous offre-t-elle (dans le domaine artistique particulièrement) ?

JCR : J’ai l’habitude de distinguer trois capacités de l’IA en fonction du type de ses données d’entrée : les données numériques (issues d’un capteur sensoriel par exemple), les données d’images et les données de textes. À condition d’avoir les données annotées et suffisantes, on peut tout imaginer : reconnaître des objets en particulier, reconnaître l’activité d’une personne à partir du téléphone qui est dans sa poche, anticiper les phrases dans les chats, etc.
De mon point de vue, ce qui est intéressant au niveau artistique (et c’est aussi le cas dans mon travail de tous les jours), c’est d’utiliser l’IA comme une brique de base et de construire des solutions complexes autour d’elle. Je pense que l’IA ne se suffit pas à elle-même pour être artistiquement intéressante. Elle doit être complètement cachée par un élément artistique qui prend toute la place. Un peu à la manière d’un magicien. Ce que le magicien maîtrise, c’est exactement ce que le spectateur ne voit pas.
Dans l’œuvre de Charlie exposée aux Abattoirs, c’est différent : deux écrans révèlent les secrets de l’IA. On y voit l’image (et les détections de l’IA) qui a permis d’adapter l’œuvre au visiteur. Dans ce cas-ci, l’œuvre a pour objectif d’alerter les visiteurs de l’impact de l’IA sur notre environnement, l’IA est ainsi mise à nue et présentée de manière brute (aucun design n’est appliqué sur les écrans de l’IA).

AH : Est-ce votre première collaboration avec un artiste ?

JCR : C’est la première fois que je travaille sur une œuvre exposée en musée. Dans le passé, j’avais déjà travaillé avec Charlie sur d’autres sujets : créer un site web un peu décalé, musique, etc.

AH : Qu’avez-vous pensé de la proposition de Charlie Aubry ? Comment, en tant que scientifique, vous êtes-vous senti face à son projet et ses demandes?

JCR : Comme je l’ai dit plus haut, j’aime l’art quand les œuvres prennent de la place et qu’elles marquent tout de suite. C’est le sentiment que j’ai avec la proposition de Charlie donc son œuvre me plaît. Cela étant, il est difficile d’avoir un œil critique sur une œuvre de Charlie, je le connais depuis un moment, je connais son univers, je suis un fan de la première heure.
J’ai abordé le développement de la solution informatique de Charlie comme avec un client de ma société. La réussite d’un projet passe souvent par la confiance et c’était le cas entre nous. Il m’a fait une demande cohérente (quoi qu’importante par rapport à la deadline courte) et il m’a laissé tout gérer. Au moment de l’intégration, on a vu que tout s’imbriquait parfaitement.

AH : Avez-vous ressenti, au moins au début de votre collaboration avec Charlie Aubry, la différence qui existe entre vos domaines respectifs lors de vos échanges ?

JCR : On peut effectivement se poser la question de la communication avec d’un côté Charlie Aubry, issu du design, de la musique, et vous, avec votre bagage scientifique.
Les discussions sur la création de l’œuvre étaient marrantes entre nous. Charlie m’a demandé plusieurs fois d’arrêter de penser comme un ingénieur. Dans sa façon de penser, tout est réalisable même s’il n’a pas la moindre idée de comment faire sur le moment. Dans la mienne, tout devait être un minimum réfléchi et pensé en amont. Il y a quelque chose qui m’a choqué en travaillant avec lui, c’est la liberté qu’il peut avoir en créant son œuvre. Il peut avoir tout réfléchi en amont comme un ingénieur l’aurait fait, et finalement il va changer des choses à la dernière minute.
Enfin, je précise que si chacun y met du sien en mettant de côté les acronymes, les références et son égo, tous les métiers peuvent discuter et travailler ensemble. C’est simplement une question d’ouverture d’esprit.
D’ailleurs, ayant fréquenté les labos de recherche, il n’est pas rare de croiser des chercheurs musiciens/peintres/bricoleurs. La discussion entre chercheurs et artistes est je pense beaucoup plus simple qu’elle n’y paraît.

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