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Entretien téléphonique avec l’artiste Charlie Aubry, l’un des trois lauréats du prix Mezzanine Sud - Prix des Amis des Abattoirs, du 22 novembre 2019 au 16 février 2020, aux Abattoirs, Musée — FRAC Occitanie Toulouse


Le 28 novembre 2019

Entretien téléphonique avec l’artiste Charlie Aubry, l’un des trois lauréats du prix Mezzanine Sud - Prix des Amis des Abattoirs, du 22 novembre 2019 au 16 février 2020, aux Abattoirs, Musée — FRAC Occitanie Toulouse.
 
À 29 ans, Charlie Aubry est un artiste passionné de musique, issu du design, qui s’exprime autant par la peinture, la vidéo et l’installation, mêlant intelligence artificielle et objets du quotidien, comme c’est le cas aux Abattoirs avec son œuvre P3.450. C’est un artiste pluridisciplinaire pour qui tous les médiums sont bons pour dire ses préoccupations. La rentrée 2019 a été très intense pour Charlie Aubry. Nous pouvions découvrir ou redécouvrir son travail lors de la 6e édition de la Bourse Révélations Emerige à Voltaire, Paris (du 9 octobre au 17 novembre 2019), en attendant le vernissage des Abattoirs, où il expose jusqu’au 16 février prochain. Charlie Aubry réfléchit énormément, et aime maîtriser tous les aspects de la production d’une œuvre. Cependant, pour son œuvre présentée à Toulouse, il collabore avec son ami, Jean-Charles Risch, docteur en intelligence artificielle, auquel nous avons également adressé quelques questions afin de mieux cerner le regard d’un scientifique à l’égard d’une production artistique.

Être artiste aujourd’hui, ça représente quoi pour vous ?

C’est amener un regard nouveau, une position sur le monde d’aujourd’hui. Ça me permet de comprendre certaines choses et de me pencher dessus, d’essayer de les traduire sous d’autres formes que celles qu’on voit à la télé par exemple. Je suis une sorte d’éponge qui absorbe des informations qui sont ensuite retranscrites par le biais d’œuvres (dessins, musiques, installations) souvent hyper liées à mon quotidien. Ici, avec l’intelligence artificielle, je parle de choses qui me questionnent en ce moment. Quand je fais une œuvre, je la fais comme une tentative de constat qui peut ensuite apporter une forme de questionnement chez le spectateur.

D’où vous est venue l’idée de mêler des objets du quotidien (jouets, livres, vêtements) avec des installations numériques ?

Pour les objets du quotidien, dans P3.450, il y a des livres, des affaires, le jeu de société « Le destin » avec une Ferrari sur la boîte du jeu… Tout ça représente une trame de vie avec laquelle on est confronté en permanence. Les publicités, la radio, et tous ces livres Comment maigrir ?, Comment être heureux ?, qui sont de véritables modes d’emploi. Ça vise une espèce de vie toute parfaite où il faudrait être parfait etc, ce sont des canons de la réussite, où être heureux passe par l’acquisition d’une grosse maison, d’une belle voiture. Tous ces livres, je les ai remarqués, car ils existent par le biais d’un seul prisme : être fortuné, avoir un corps d’Apollon. Le vecteur d’intelligence par contre n’est jamais représenté, mis à part peut-être la bienveillance, liée à la morale. Ce n’est pas ce que je vise personnellement, mais je comprends que l’argent rende heureux car quand on n’en n’a pas c’est chiant, mais il n’y a pas que ça. Et l’art peut être un vecteur de bonheur, qu’on le fabrique, ou le regarde. Toujours ce truc de travailler à l’école pour avoir de l’argent, et c’est un peu horrible.
Pour moi l’œuvre c’est notre quotidien.

Issu du design, vous dites que chaque objet compte pour vous, et que chacun a une histoire. Est-ce que vous ressentez vos installations comme des sortes de temples voués aux objets, une façon de les sacraliser ? Ou bien essayez-vous de figer des images gardées en mémoire ?

Un peu des deux. Je suis collectionneur, je collectionne des objets, parfois parce qu’il a une belle forme qui m’intéresse, parfois parce que la forme peut être moche mais peut raconter quelque chose, j’en emmagasine beaucoup.
Pour moi ces assemblages, c’est dans le but de créer des narrations, soit qui ne parlent qu’à moi, ou bien qui soient universelles, comme la Ferrari, symbole de richesse. Chacun a son interprétation. Souvent ce sont des objets du quotidien, que les gens peuvent avoir et ils s’identifient à eux.
Je trouve ça important qu’il y ait plein de grilles de lecture différentes. Par des amateurs d’art autant que des néophytes. J’aime autant que quelqu'un puisse voir mon installation et se dire que je me suis inspiré de Nam June Paik, que quelqu'un qui n’y connaisse rien puisse être attiré par ces objets du quotidien qu’il reconnaît.

Vous considérez-vous comme faisant partie de la génération post-internet ? Est-ce important pour vous d’être assimilé à un mouvement, en existe-t-il un dont vous vous revendiquez plus qu’un autre, ou un dont vous revendiquez l’influence, si oui, lesquels et pourquoi ? 

Je ne sais pas si je me revendique post-internet, tout ça. Je me revendique pluridisciplinaire. J’ai commencé par un cursus en art puis en design, et je pense que les gens de ma génération se retrouvent un peu là-dedans, qu’être artiste ce n’est plus juste avoir des bonnes idées, c’est savoir tout faire, de la comptabilité etc.
On a tendance à m’assigner à du bricolage mais je fais plein de chose, je fais pas mal de musique, je peins aussi. Donc il n’y a pas de médium particulier ni de mouvement dont je me revendique. Mais j’ai un attrait pour la bidouille, et ça ressort parce que c’est assez développé et je le fais aussi en dehors de mon travail de plasticien, en dehors de l’atelier, c’est quelque chose que je maîtrise. C’est ça qui ressort le plus mais j’aimerais qu’on prenne en compte que je fais des vidéos et d’autres choses. Je trouve ça dur de communiquer sur tout mais évidemment il faut faire des choix en montrant seulement certaines choses dans une exposition.
Ma pratique de tous les jours mélange tout. À terme j’aimerais qu’on comprenne que c’est poreux. La manière dont je fais de la musique est la même que la manière dont je bidouille, dont je peins.
Tout est hyper lié pour moi. C’est dur de me revendiquer d’un seul mouvement. J’ai grandi avec internet et ça a ouvert plein de choses en terme de connaissances donc je pense qu’on s’est inspiré, ma génération et moi, de beaucoup de choses et pas juste dans l’art post-internet.

Comment s’est mise au point votre collaboration avec Jean-Charles Risch, docteur en intelligence artificielle ? À quels besoins vient répondre l’utilisation d’outils numériques dans votre démarche ? Qu’est-ce que cela vous permet de faire de plus qu’avant ?

Jean-Charles je le connais d’avant. On a déjà collaboré ensemble, quand j’étais aux Beaux-Arts. En 4e année, j’avais déjà conçu un projet similaire à l’intelligence artificielle qu’il a réalisée pour l’œuvre des Abattoirs. Jean-Charles était déjà en train de faire son master ou était en thèse, et on n’avait jamais vraiment réussi à se concorder. Mais on avait fait de la musique ensemble. Il fait partie de mon environnement familier.  
Ça permet plein de choses. C’est la première fois de ma vie que je délègue. D’habitude je préfère passer un an à apprendre un domaine pour pouvoir le travailler seul ; ça fait partie de ma technique. Par rapport à Jean-Charles, c’était intéressant de travailler avec lui car le temps était vraiment court et il m’aurait fallu plusieurs années pour apprendre à faire une intelligence artificielle, donc je ne vais pas dire qu’il fait ça les doigts dans le nez (rires), mais il sait comment faire et il avait déjà amorcé des travaux personnels à ce sujet. Donc c’est parce que je le connais, avant tout, et ça m’a permis de pousser plus loin mon idée initiale.
L’idée première vient de moi, mais comme lui c’est son domaine, il a amené de nouvelles solutions et de nouvelles problématiques. Donc c’est devenu une collaboration, et je peux voir comment la technique dans le processus créatif a évolué au fur et à mesure de cette collaboration. Je m’y attendais car à chaque fois, dans mon travail, je me bute pour trouver une problématique. Là, travailler avec un vrai technicien ça m’a ouvert des portes, et l’esprit. Ça va continuer avec lui, et avec d’autres techniciens. J’ai pu me concentrer sur la partie sculpturale et lui, sur la partie réseau et intelligence artificielle. J’ai pu me concentrer, et déléguer m’a permis de mieux gérer, et d’avoir surtout moins de choses à gérer. Ça faisait du bien d’avoir quelqu’un là pour le projet.

Quelle place occupent la musique et la performance dans votre pratique ? Comment expliquez-vous vos besoins de moyens d’expression si variés ?

La place de la musique, en fait, dès que je suis sorti de l’école en 2014, j’ai de suite travaillé avec la compagnie Maguy Marin, j’étais interprète et musicien. Pendant trois ans après l’école je suis donc parti à Lyon faire ce qui était et qui est encore mon moyen de revenu, des bandes sons. Donc c’est sûr que ça a une place hyper centrale dans ma vie.
Être interprète c’est vachement différent de la performance même si c’est de la scène, mais là c’est donner corps à des idées de la compagnie, ce ne sont pas des projets personnels, je suis interprète des projets de Maguy Marin. Ça a été une deuxième école de passer par la compagnie.
Il n’y a pas de clivage entre la performance, la musique, les arts visuels, et quand on me commande une bande son c’est le même processus que pour Mezzanine Sud où on me demande une œuvre : y’a pas de différence, pour moi, c’est une matière comme une autre.
Ce « besoin » de différents médiums, comme je l’ai dit, vient parce qu’on est amené à être hyper pluridisciplinaire car c’est ce que demande la société actuelle. Par rapport à mes rentrées d’argent par exemple, je fais des décors pour Netflix. Je ne sais pas si c’est finalement un moyen de survie d’avoir toutes ces connaissances, ces divers savoir-faire. Par exemple la semaine prochaine je suis sur un tournage pour faire un décor. Ces choses ne sont pas liées à un besoin, mais c’est aussi qu’à un moment il a fallu manger après l’école. Par exemple, aux Beaux-Arts, qui ont été hyper formateurs, j’étais spécialisé en électronique, mais j’ai quand même continué à entretenir des compétences autres et à pratiquer le bois, la peinture, la sérigraphie. Je mets ces choses autant à profit dans mes œuvres personnelles, que pour mes commandes.
C’est aussi finalement un moyen de survie dans le sens où quand j’ai besoin de travailler, ça me permet d’aller vite, je sais où aller et comment travailler. Dans les mêmes branches qui sont de la bidouille, un ingénieur ne pourra pas faire pareil car il est habité à avoir un cadre hyper fort alors que moi j’ai appris à faire la même chose mais de façon empirique. J’ai d’autres alternatives bien plus économiques, et souvent les conditions sont telles (peu de rémunération, en extérieur, froid, temps, pression) que je ne sais pas si un ingénieur serait intéressé, et vu qu’on me demande rarement des codes, ou des instructions pour aller sur la lune, ça va.

Aujourd’hui, quelle est, parmi vos œuvres, celle qui représente le mieux votre démarche actuelle, vos recherches les plus abouties ?

Difficile à dire ! Déjà, je suis super content des Abattoirs, pour moi c’est un projet abouti, c’est aussi la première fois que j’ai eu du budget pour faire quelque chose. J’ai pu payer Jean-Charles, et de la matière première. D’habitude c’est avec mes sous perso que je paie mes œuvres. D’avoir ces trois mille euros c’était génial, même si en réalité cela m’a coûté bien plus. En terme de production je suis super fière de ce que j’ai fait aux Abattoirs. Je pense déjà à la version deux.
Je ne peux pas dire qu’intellectuellement il y a quelque chose de mieux, de plus « fini » dans ma production, mais je suis content de la forme qu’ont pris les Abattoirs.
Je suis aussi assez content de ce que j’ai fait pour la 6e édition de la Bourse Révélations Emerige avec la vidéo sur mes grands-parents. C’est la première fois que je montrais de la vidéo. J’aimerais continuer dans ce sens, sur la documentation de la vie des gens.
Donc difficile à dire, parce qu’à chaque fois c’est de l’expérience qui est acquise, dans n’importe quelle exposition. Mais vraiment, les Abattoirs, parce que je ne me suis pas embêté ni trop endetté pour faire une œuvre, représente une expérience importante pour moi. Malheureusement, ce n’est pas souvent le cas qu’en tant que jeune artiste on reçoive une aide comme celle-là.
Je trouve que c’est celle qui a le plus d’impact visuel et formel. C’est la première fois que je travaille avec des matériaux nobles. Là, ce sont des tubes en chrome. D’habitude je récupère. Ça représente mille euros de barres en fer : j’aurais jamais pu faire ça avant. C’est vachement professionnalisant. Aussi dans le fait de déléguer. C’est la première fois que je peux payer quelqu'un, et ça me libère du temps. Ça m’a appris à lâcher prise, et déléguer. Je m’aperçois que ça fait du bien d’avoir des gens compétents dans un domaine, qui mettent leur savoir-faire dans une œuvre. Pour tout ça je dirais que les Abattoirs, c’est la chose qui m’a fait grandir le plus. Ainsi que mon arrivée à Paris.

Parlez-moi de votre arrivée à Paris.

Avec la compagnie Maguy Marin, on est partis à New York en tournée trois semaines et en revenant à Lyon, j’ai compris que je devais partir de Lyon (rires). Il y a eu un choc. J’étais pas trop grande ville à la base. Les États-Unis m’ont bouleversé. Ce n’était pas possible de retourner vivre là-bas et je voulais quelque chose d’aussi fort et d’aussi grand. J’ai été en même temps sélectionné, en 2018, pour la 68e édition de Jeune création (13 – 20 mai 2018) à Paris. Ça a amorcé mon départ de Lyon.
Participer à l’exposition Jeune création, ça a déclenché plein de rencontres avec le monde de l’art contemporain. Grosse expérience. Au début on a l’impression que « ça marche ». Le téléphone a sonné tous les jours après Jeune création. Maintenant je m’aperçois que Jeune création a fait s’accélérer les évènements. J’ai rencontré plein de gens avec beaucoup de propositions différentes, parfois intéressantes, parfois non, c’était un exercice très formateur. Ça m’a appris à prendre du recul et à mieux cerner les gens que je rencontre, et apprendre à dire NON. Car dans le monde de l’art, il y a beaucoup, beaucoup de gens. Il n’y a pas que des grands collectionneurs ou des grands galeristes, y’a aussi des petits collectionneurs, et des gens qui voudraient être collectionneurs. C’est très inégal. Donc on apprend à relativiser, à mieux cibler, car il y a toujours des gens qui veulent rencontrer des artistes. Mais c’est toujours une expérience enrichissante. C’est tout un travail. Au début quand on me présentait quelqu’un en me disant « il est commissaire indépendant », je m’imaginais plein de choses, au final, beaucoup sont dans la même situation que moi, et ça n’aboutit pas forcément ! On a donc souvent plein d’espoir, et on apprend à prendre du recul et à relativiser.
Donc Paris a été une super expérience, pour me professionnaliser, comprendre les enjeux du monde de l’art contemporain, et apprendre l’importance de regarder à qui on va avoir à faire avant un rendez-vous.
Tout va plus vite à Paris c’est vrai, et il y a deux mondes, celui autour de Paris et le reste. À Paris on se rend compte d’une certaine réalité dont je n’avais pas conscience en province. Par exemple il y a deux vitesses dans les gens qui font de l’art. À Toulouse je n’avais pas l’impression que c’était un milieu « réservé » exclusivement à une catégorie très élevée de la société. Il y a ceux qui ont besoin de travailler et d’autres qui n’ont pas besoin, et qui peuvent se consacrer entièrement à leur production. Ça fait deux vitesses dans les circuits. Ça ne m’était jamais arrivé de m’en rendre compte à Toulouse. Je réalise que pour être artiste il faut avoir des fonds, c’est dur quand on ne vient pas d’un milieu aisé de pratiquer. À Toulouse c’était tellement du bon vivre, rien n’était très cher il y a encore quelques années, et à Paris c’est très différent, c’est une difficulté. Ici, entre mon atelier et mon loyer, ça représente mille deux cent euros par mois, mais grâce à mon intermittence j’y arrive. Mais c’est hyper compliqué, il faut trouver son dosage. C’est pour ça que j’ai trouvé super d’être d’abord à Lyon, ça m’a permit de ne pas avoir à trouver un job alimentaire.

Enfin, quelle est l’idée de projet qui vous semble la plus ambitieuse, que vous souhaiteriez mettre au point dans les prochaines années ?

Il y a des tonnes de projets en cours, et j’ai ma boîte à projets qui est un carnet, où j’écris ce qui me passe par la tête, souvent c’est nul. Mais quand on a un appel pour une commande, ça permet, en repassant dans ce carnet, de voir les idées et parfois il y a des bribes qui permettent d’aller plus loin. Le projet des Abattoirs, je l’avais commencé en 4e année aux Beaux-Arts. Je ne pouvais pas le faire techniquement, je n’avais pas assez d’argent. J’ai du attendre jusqu’à ce moment, là c’était le bon moment pour le sortir.
Mon projet ambitieux, c’est plutôt en terme de vie aujourd’hui. La chose la plus ambitieuse que j’essaie en ce moment, c’est d’obtenir mon visa pour les États-Unis. Partir vivre à New York, essayer de développer ce que je fais en ce moment à Paris mais là-bas.
Ici, on va continuer de développer l’intelligence artificielle, moins dans une sorte de constat ou d’alarme comme j’ai essayé de faire ici aux Abattoirs, mais peut-être des choses plus intrusives. Je dois avouer que depuis septembre c’est un peu la course, mais ça va revenir ! Là mon projet le plus ambitieux, c’est d’en vivre.
New York, si on veut y travailler c’est compliqué, il faut avoir le visa O-1, spécifique aux artistes, scientifiques et sportifs. C’est le visa « extraordinary abilities » : il faut prouver qu’on a ces capacités. Il faut aussi quinze lettres de recommandations, et un avocat. J’aimerais bien partir en septembre 2020. Mais je pense que c’est plus envisageable pour un départ en janvier 2021.
Et je voudrais créer une symphonie pour un orchestre ! C’est ça le projet le plus ambitieux que j’ai en tête depuis quelques mois ! Travailler avec un orchestre en tant que « non musicien ». Je ne connais pas le solfège. Ça serait une expérience que j’aimerais faire !

Propos recueillis par Abigaïl Hostein.

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