François-André VINCENT, La Mort de Caton, 1771-1775, huile sur toile, 60 x 45,5 cm, musée Fabre, Montpellier
En entrant dans ce tableau, ce sont les bras inanimés de l’homme qui nous saisissent, au sol, au premier plan. Étendu, le crâne au sol, corps héroïque immobile, il est sur le dos. Sa jambe gauche est encore mêlée aux draps rouges du lit d’où il vient de tomber. Cet homme au visage maintenant apaisé, est l’auteur d’un crime : le sien.
Cet homme, c’est Caton d’Utique. Homme politique, allié de Pompée et de la République romaine. Face à la victoire des partisans de Jules César à Thapsus, en 46 avant Jésus-Christ, Caton se porte un coup de glaive dans l’abdomen à l’âge de 49 ans, ne pouvant plus supporter les victoires de son adversaire, également adversaire de la République. Caton, homme politique passionné, engagé, ne veut plus être témoin de la montée en puissance de César qui préfère le pouvoir au peuple.
Mais comment cet homme politique en est-il arrivé là ? Caton était le symbole de cette République romaine prospère : tribun de la plèbe, il prenait visiblement très à cœur son rôle de porte-parole du peuple auprès du pouvoir. C’est son vif engagement politique qui a causé sa chute. Cette chute, mise en scène dans le tableau, peut également faire référence à celle que la République romaine connaîtra bientôt (l’Empire commence avec Auguste en 27 av. J.-C.).
Ce sujet de la mort de Caton était assez répandu aux 17e et 18e siècles, principalement en Italie mais également en France avec bien sûr François-André Vincent, qui peint la toile dont je vous parle ce soir (né et mort à Paris, 1746-1816).
La touche de l’artiste, c'est-à-dire sa technique, a laissé penser que cette œuvre était celle de Théodore Géricault, puis finalement d’Eugène Delacroix avant d’être enfin restituée à son auteur légitime, Vincent, en 1981. Encore un artiste dont la reconnaissance posthume aura été longue. La touche de ces trois artistes, il est vrai, rend compte de parentés indéniables : une touche relâchée, très fluide, et des compositions très dynamiques et théâtralisées.
En 1768, Vincent remporte le Prix de l’Académie, c'est-à-dire une importante reconnaissance, qui lui permet de partir à Rome où il restera de 1771 à 1775. C’est pendant cette période qu’il réalise sa version de La Mort de Caton.
Dans l’œuvre de Vincent, le corps de Caton est nu. Sans vie. Il traverse la composition de l’angle inférieur gauche, à l’angle supérieur droit, et reçoit une vive lumière venant accrocher le regard qui va aussitôt remonter le temps en imaginant le déroulement du drame qui vient de se dérouler. Si le corps supplicié de Caton s’échappe du lit, son attitude fait qu’il s’y trouve encore malgré lui. Autrement dit, il a encore littéralement un pied dans l’acte précédent, dans celui, dramatique, du suicide. Sa jambe, tendue, vient matérialiser le passage entre ces deux mondes.
Et puis il y a le sang. Le sang dégoulinant de la plaie de Caton renvoie au sombre drap rouge qui recouvre encore le lit. Le peintre a imaginé une deuxième source de lumière qui vient frapper l’oreiller : c’est ici que Caton s’est donné la mort. En témoigne une tache rouge sur le revers doré du drap, face à ce qui semble être le pupitre qui accueille un ouvrage de Platon nommé Phédon. Le livre, orienté en direction du lit, est un élément récurrent de l’iconographie de sa mort ; en effet, Caton aurait passé la nuit à lire cet ouvrage sur l’immortalité de l’âme, avant de mettre fin à ses jours. Derrière le livre, sont posés sur le pupitre les attributs de Caton : son bouclier ainsi que son casque. Ces éléments sont simplement schématisés : nous devinons leur forme grâce à de simples touches de lumière se déposant sur les objets.
Enfin, derrière ce lit traversant toute la largeur de la toile, une colonne antique participe à la mise en place théâtrale du tableau qui, en dépit de son petit format, appartient au grand genre de l’histoire. En arrière de la colonne, au sommet du tableau, apparaît un personnage vêtu de noir au visage très énigmatique, se laissant assimilé à celui d’une statue antique, replaçant ainsi dans son contexte cette scène. Ou bien peut-être est-ce une allégorie de la mort, surprenant Caton dans les derniers instants de sa vie, vêtue de noir, à l’expression terrifiée. Ou encore, le visage très expressif de cette figure peut faire référence aux masques des acteurs de la Commedia dell’arte, ce genre de théâtre très populaire en Italie né au 16e siècle, témoignant de l’influence qu’ont eu les années de formation à Rome sur François-André Vincent.
Le tableau de François-André Vincent comporte de subtiles références et métaphores. D’un côté, Caton, cet homme politique écarté par Jules César, contraint de disparaître de la scène politique, et de l’autre, le peintre lui-même, Vincent, artiste brillant, dont la rivalité avec le grand peintre Jacques-Louis David, a malheureusement contribué à l’oubli de ses œuvres dans l’ombre de ce dernier…et l’a contraint à disparaître momentanément de la scène artistique.
Concernant l’attribution de l’œuvre, il est très intéressant de penser aux artistes Géricault (1791-1824 élève de Vernet et Guérin) et Delacroix (1798-1863 élève de Guérin), qui ont très longtemps étaient successivement les auteurs présumés de cette œuvre. Dans son important don au musée Fabre en 1876, Alfred Bruyas, grand collectionneur montpelliérain, lègue cette œuvre, qu’il avait achetée la pensant de Delacroix. Dans le catalogue de 1904, (p. 47), il était écrit « attribué à Delacroix », même chose dans celui de 1910, où il est précisé « était attribué à Géricault ». C’est seulement à partir de 1926 que dans le catalogue du musée Fabre, il est précisé que l’attribution à Delacroix n’est pas certaine. En 1981 donc, Jean-Pierre Cuzin attribue l’œuvre à François-André Vincent. Lors de l’exposition de 1985, Courbet à Montpellier, qui s’est déroulée au musée Fabre, l’œuvre est enfin attribuée à l’artiste.
Je garde une question : que représente l’ardoise sur laquelle l’artiste se trouve ? Cette ardoise qui remet en question la perspective du sol, mais notamment la place du lit dans l’espace. Je parle d’ardoise car, notamment dans les versions de Bouillon, Guérin et Laurens, un objet très semblable est également présent. Parfois avec des signes géométriques dessus comme chez Bouillon (où l’on dirait plus une planche de bois), parfois de plus petit format comme chez Laurens. Sur celle-ci, nous pouvons déceler, peut-être, un début d’inscription, ou bien seulement des signes qui veulent en donner l’impression. Pourquoi une planche ou une ardoise est présente dans la scène de la Mort de Caton, je ne sais pas.
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