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Courbet, 1854



Gustave Courbet (1819-1877), 
Le bord de mer à Palavas, 1854,
huile sur toile, 27 x 46 cm, Musée Fabre, Montpellier. 

En 1859, Maxime du Camp écrira que "la vraie force de l'École française", c'est le paysage. Cette observation, Rémy de Gourmont viendra la préciser, lorsqu'en 1903 il dira la chose suivante ;  peindre la mer, c'est "peindre la plus originale des créations du XIXe siècle"

Si Gustave Courbet découvre la mer en Normandie en 1841, c’est lors de l’été 1854, alors invité par Alfred Bruyas, qu’il va découvrir les bords de mer méditerranéens. Ce paysage, d’une étendue infinie, s’offre alors à lui telle une révélation. Ce sujet nouveau, qui s’étend et se prolonge, offre quantité de possibilités que l’artiste va s’émerveiller à représenter. 
À la veille de l’impressionnisme, le paysage français gagne du terrain et évince peu à peu, dès 1830, le Grand genre. C’est autour de ce paysage que va se jouer l’avenir de la peinture moderne en France. En 1857, le critique d’art Jean-Antoine Castagnary (1830-1888) explique cet intérêt grandissant en évoquant un désir de s’échapper hors de la ville, vers la forêt ou en campagne. 

Courbet, le dernier des romantiques, trouve en la mer un lieu où se ressourcer. "Pourquoi, écrit Baudelaire, le spectacle de la mer est-il si infiniment et si éternellement agréable ? Parce que la mer offre à la fois l’idée de l’immensité et du mouvement... Homme libre, toujours tu chériras la mer." 
Si Courbet est moderne, au sens où l’entendait Charles Baudelaire, c’est qu’il est artiste de son temps. Pourquoi ? Il peint cette création originale du XIXe siècle qu’est la mer. Là depuis des siècles, elle ne retenait point l’attention, ou quand bien même la retenait-elle, elle effrayait. Désormais le paysage, ce paysage, est totalement assumé, il est valorisé et véhicule de nouvelles valeurs qui s’imposent, laissant la sensibilité prend le pas sur le rationnel. 
Nous le savons, Charles Baudelaire (1821-1867) écrit dès 1850 un article, "Le peintre de la vie moderne", qui sera publié dans le Figaro en 1863. Dans cet article, il va tenter d’expliquer le concept de modernité artistique. Il met en avant, dès le Salon de 1845, que l’art doit extraire à la vie actuelle son côté extraordinaire.
Être un peintre moderne, pour Baudelaire, c’est proposer une originalité dans sa production. L’artiste doit se rendre sensible à l’air de son temps, et respecter le contexte temporel qui le domine. Ce qui importe, ce n’est plus cette parfaite maîtrise de la touche, ce rendu léché, le "morceau fini" ; en revanche, le "morceau fait" prend une ampleur considérable car contrairement au "morceau fini", il désigne l’oeuvre mentalement aboutie, achevée du point de vue de son créateur. 
C’est en plongeant le regard du spectateur dans cette immensité que Courbet réussit à procurer un sentiment irrationnel. Cette superposition de bandeaux, qui constituent un dégradé échelonné sur un quinzaine de registres horizontaux, crée sur cette surface plane une impression d’absorption et de profondeur sans fin. 
Contrairement à Eugène Boudin, qu’il rencontre en 1859, Courbet peint une mer nue. Sous ce ciel pure, macrocosmique, d’un bleu rehaussé de blanc, vient se confondre la mer alors traitée d’un bleu-vert rompu, très marin. 

À l’exception de la représentation en pied de Courbet lui-même, qui salue, plein d’humilité cette immensité aqueuse, le paysage est dépourvu de toute fioriture, il n’est mis en valeur que par lui-même, il se suffit à lui-même. Courbet représente « rien que le drame de l’immensité », écrit Champfleury.
Françoise Cachin, en 2000 écrit "Courbet est le premier grand artiste à découvrir la Méditerranée, à la peindre sans personnages, sans accessoires, sans allusion antique, sans portique ou arbre pour caler le paysage... le premier enfin à montrer la mer et le ciel dans leur simple grandeur." 
La petitesse de ce grand homme délivre un message symbolique. Cette œuvre est en effet une double-célébration. En premier lieu, Courbet célèbre l’engagement, le dévouement d’Alfred Bruyas à l’égard de son travail, en endossant une tenue semblable à celle du collectionneur montpelliérain dans La Rencontre que Courbet réalise au même moment. De plus, est ici célébré l’optimisme, soit le regain de confiance en lui de l’artiste, au regard des nouvelles opportunités qu’offre le monde. Humble, sa mince allure se laisse submergée par les forces indomptables de la nature, notion également charnière dans l’œuvre de Caspar David Friedrich (1774-1840) dont l'écho à son Moine au bord de la mer (1808-1810) est ici poignant. 
Ce paysage marin s’offre à nous dans sa grande simplicité, dans un puissant vacarme mélodieux. L'artiste y saisit de manière spontanée la poésie proprement moderne qui se dégage de l’instant observé et se définira lui-même, en 1854, comme "l’homme libre". Pour lui, être réaliste, c’est être "l’ami sincère de la vraie vérité". Cette œuvre réelle, non idéalisée, est le témoin de la vérité pure contenue en la nature, cette même vérité que Courbet capte, il nous l’offre ici, à voir et à ressentir. 


GEORGEL Pierre, Courbet, le poème de la nature, Réunion des musées nationaux, Paris, 1995 

HILAIRE Michel, ZEDER Olivier, De la nature dans les collections du musée Fabre, Paysages de Poussin à Courbet, Réunion des musée nationaux, Paris, 1996 

RAGON Michel, Gustave Courbet, peintre de la liberté, Fayard, Paris, 2004 

Des CARS Laurence, De FONT-RÉAULX Dominique, TINTEROW Gary, Gustave Courbet, Réunion des musée nationaux, Paris, 2007.

L2 

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